Lorsque l’on parle du FC St. Pauli, très vite, les rapports que le football entretient avec le reste de la société se font jour. En effet, combien de Cristiano Ronaldo y a-t-il en réalité pour le nombre incalculable d’humbles travailleurs du ballon rond peu connus ou quasi anonymes ? Peu en fait. Volker Ippig, ex-gardien de but de notre équipe dans sa grande époque des années 80, est l’un de ces « prolétaires » du football mais il est encore aujourd’hui un emblème pour de nombreux fans : il a construit son parcours de professionnel dans LE club qui à cette époque, apparemment aujourd’hui lointaine, était en train de bâtir sa légende, son aura de club contestataire : le FC St. Pauli.
C’est sans doute pour cela que Ippig encore aujourd’hui représente ce que tout supporter du FCSP aime chez un de ses joueurs : anticonformiste, rebelle, le cœur bien à gauche et toujours prêt à remettre en cause un système auquel, au contraire de beaucoup de ses collègues, il ne souscrit que de très loin, voire pas du tout. Voyons de plus près qui il est.
Les années de jeunesse
Volker Ippig est natif de Eutin (Schleswig- Holstein) où il voit le jour le 28 janvier 1963. Il mesure 1,86 mètre et a joué comme gardien de but. Sa carrière de joueur commence au TSV Lensahn (au Nord de Lübeck dans le Schleswig) auquel il se forme à partir de 1972 pour se transférer au FC St. Pauli, en U19, en juillet 1979. En 1981, il signe comme professionnel pour l’équipe 1 du club. Il y assume le rôle de 3ème gardien en même temps qu’il poursuit des études d’économie. Il est un gardien doté d’un bon physique et qui jouit d’une grande explosivité.

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On le voit sur la photo ci-dessus, Volker arrive jeune (16 ans) au FCSP et il semble encore très loin de ce joueur qui apparaît bientôt souvent en vêtements débraillés, sorte de contre- modèle de ce genre de footballeurs que l’on connaît aujourd’hui et qui semblent si souvent aussi aseptisés que les produits qu’ils aident à faire vendre.
Mais Volker a, en plus d’un certain talent en tant que footballeur, un goût prononcé pour la contre-culture de son époque (entre autres anecdotes, il lit énormément Carlos Castaneda), une conscience politique très affirmée pour un âge encore peu avancé. Et un certain courage face à la vie, ses opportunités et ses difficultés.

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Trois ans de pause
Les difficultés qui le préoccupent ne le concernent pas lui, mais plutôt ceux qui ont moins de chance que lui, qui peut vivre sa passion librement. C’est ainsi qu’il effectue un stage dans un jardin d’enfants pour personnes handicapées juste après avoir obtenu son baccalauréat au lycée commercial proche du Millerntor. Dans le même esprit et côté opportunités, en 1984 il part pour le Nicaragua pour 6 mois, et s’engage dans un projet bénévole de construction d’un centre de santé à San Miguelito. Il y est ouvrier du bâtiment. Le contexte local est difficile et, dans ces années- là, un certain nombre d’Européens sont assassinés par les Contras financés par les USA pour abattre la révolution sandiniste. Il ne part pas faire la révolution, il n’est pas combattant de la liberté, il suit juste sa conscience et agit pour ce en quoi il croit.
La reprise de la vie professionnelle
Cette pause durera jusqu’en 1986. Trois années dans la vie d’un professionnel de football, trois années entre ses 20 ans et ses 23 ans… autant dire qu’il abdique une partie importantissime de sa « carrière » s’il était un joueur à peine préoccupé par ses propres intérêts. Mais Volker est en symbiose avec le quartier de St. Pauli, ses habitants punks, dockers, marginalisés, professionnel-le-s du sexe et squatters. C’est dans la Hafenstrasse et ses maisons occupées par des personnes en lutte pour leurs droits à rester où elles habitent, en proie à la répression policière quasi permanente qu’il se sent le mieux et qu’il réside la plupart du temps durant ces années. Volker fait plus que les côtoyer, il s’identifie à eux au moins autant qu’eux sont l’âme de St. Pauli.

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C’est donc une personnalité iconique du club qui est en train de se construire mais pas de façon calculée. Et sur le terrain à son retour, il remonte la hiérarchie des gardiens, il devient le N° 1 du FCSP. En 1986/1987, il garde les cages de l’équipe à 11 reprises pour 22 buts encaissés. En 1987/1988, 20 buts encaissés en
19 matchs joués. Ces deux saisons sont disputées en 2. Bundesliga. Avec les résultats de cette dernière saison remémorée, il est promu dans l’élite pour la saison 1988/1989.
Une bonne saison en Bundesliga… puis une autre
Une saison où l’on se souviendra, entre autres, qu’il ne subira pas de but contre le Bayern Münich ou le Bayer Leverkusen au Millerntor et également contre le Borussia Dortmund à l’extérieur. Une saison où, au total, il joue 31 matchs et encaisse 39 buts dans cette élite du football de la république fédérale d’Allemagne face à laquelle il salue les fans du FCSP le poing levé, comme un travailleur engagé qu’il est au fond de lui-même, à chaque match. Le FC St. Pauli parvient à se maintenir grâce à la 10ème place que Ippig aide à obtenir.
Saison 1989/1990 : 22 matchs et 28 buts encaissés pour Volker et une 13ème place en Bundesliga. Un deuxième maintien de suite pour le club de quartier, une performance remarquable que le FCSP ne réalisera pas souvent dans son histoire.

Le 20/05/1989 Bayern Münich/FC St. Pauli : 2-1. Crédit photo : imago
Fin de la belle histoire…
En 1990/91, Volker joue moins, seulement 12 apparitions en championnat (18 buts subis). Il faut dire qu’un certain Klaus Thomforde commence à lui contester le rôle de n°1. La relégation attend le club de quartier à la fin de cette campagne : 16ème place, insuffisante pour se maintenir dans le championnat de 1ère division. Les barrages contre les Stuttgart Kickers ne changeront pas la donne.
Malgré la relégation, le 2/03/1991, avec Volker dans les cages, le FCSP bat le Bayern, à Münich, 1-0.
Et en 91/92 le gardien à la longue crinière blonde reprend le chemin, avec ses coéquipiers, de la 2. Bundesliga. Il débute la saison avec 5 apparitions et 9 buts encaissés mais une chute sur le dos lui coupe net et la moelle épinière et ses espoirs de continuer à jouer pour son club. Le dernier match de Volker a donc lieu le 27/09/1991 contre l’Eintracht Braunschweig. Le club termine la saison en 2. Bundesliga Nord à la 3ème place. Les fans le remercient par un T-shirt avec son portrait et un extrait de l’Internationale écrit en grandes lettres : « Volker hört die Signale ».
…et début d’un autre chapitre de vie
Il travaille d’abord comme physiothérapeute en même temps qu’il commence à se former à ses futures fonctions d’entraîneur des gardiens et d’entraîneur : formation achevée en 2004 avec l’obtention du diplôme de Licence A. Dès 1999, il signe à nouveau au FCSP en tant qu’entraîneur des gardiens cette fois. Il occupe cette fonction jusqu’à la fin de l’année 2002 mais les relations avec Klaus Thomforde qui ne sont pas au beau fixe le conduisent à jeter l’éponge et quitter le club où il a connu des années importantes.

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Ensuite, il continue à entraîner les portiers dans différents clubs : VfR Neumünster, Holstein Kiel (jeunes), VfL 93 Hamburg, et alors qu’il est entraîneur de son club de formation du TSV Lensahn (2007/2008), il se voit proposer un contrat à mi-temps au VfL Wolfsburg de Felix Magath pour la saison 2007/2008. Mais dans le même temps, il avait créé une école de gardiens de but mobile, son engagement avec Magath devenant pour cette raison problématique. Alors, quand ce dernier lui propose un contrat à plein temps, il décline l’offre pour se dédier à cette activité qui se révèle malheureusement peu rentable.
De formateur de portiers à employé du port
Volker, comme on le disait en introduction, n’est pas Cristiano Ronaldo. C’est un travailleur du football. Et quand on n’a pas des millions investis dans des affaires juteuses et qu’on doit nourrir sa famille, alors on reprend le chemin du travail. C’est ce que fait Volker qui depuis cette époque est arrimeur de cargaisons quelques jours par mois au port de Hambourg. Il y vient de sa chère ville de Lensahn où il avait acheté un terrain et construit une maison dans les années 80.
Même si la crise économique a frappé le port international, il continue à travailler, parfois il peut enchaîner les contrats et faire 32 heures par semaine. Il veut se former à nouveau, cette fois comme vérificateur. Il a l’expérience suffisante pour cela et même s’il déclare ne pas être trop mal payé, il estime toujours que « la question sociale de la répartition de l’argent est cruciale. Tout le monde parle toujours de solidarité et de justice, mais la politique n’agit pas en conséquence. Il y a beaucoup de casse sociale ».
Travailleur du football dans les années où celui- ci a pris un virage vers une élitisation façonnée par les businessmen, Volker Ippig est resté ce qu’il a toujours été, un prolétaire, un artisan de sa propre trajectoire qui a refusé les sirènes et les promesses de gloire pour se dédier à ce qu’il estime être son projet social : sa famille.
Et pour cela, il est l’archétype du joueur que nous aimons au FCSP. Salut à toi, Volker, et continue à « entendre les signaux » (hör die Signale!) pendant longtemps encore !

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