Tout commence dans les années 80, lorsque le FC St. Pauli, modeste club hambourgeois, voit sa tribune Sud envahies par une nouvelle vague de supporters : punks, squatteur·euses, militant·es de gauche, féministes, anarchistes. Fuyant la scène néo-nazie qui gangrène alors les stades allemands, ces contestaires font du Millerntor un refuge politique, culturel et identitaire.
Rapidement, la tribune devient un bastion antifasciste : les drapeaux arc-en-ciel y côtoient les banderoles “Kein Mensch ist illegal” et “Nazis raus”. Cette base militante impulse une culture unique : mixte, solidaire, bruyante, farouchement anti-commerciale. On ne supporte pas seulement un club : on soutient une vision du monde.
Parmi les figures de cette histoire engagée brille Deniz Naki, joueur kurde qui, au péril de sa carrière et de sa sécurité, a affiché son soutien à la cause kurde et aux peuples opprimés. Ses prises de position contre la répression menée par l’État turc lui valent suspension, persécutions, exil — mais il incarne, avec une sincérité rare, l’âme du FCSP : celle qui préfère l’injustice du pouvoir à la lâcheté du silence.
À l’inverse, le cas Cenk Şahin, écarté du club après son soutien public à une offensive militaire turque contre les Kurdes, rappelle que cette communauté ne transige pas avec ses principes : le respect des droits humains avant le maillot.
Mais les fans de St. Pauli ne s’arrêtent pas aux tribunes. Dès les années 90, ils créent un centre de soins palliatifs pour les malades du sida, une crèche dans le stade : des actions concrètes, à hauteur humaine, dans le quartier populaire et métissé de Sankt Pauli.
Au-delà, la scène s’étend : Viva con Agua, ONG fondée par d’anciens joueurs et supporters, lutte pour l’accès à l’eau potable dans le monde entier ; le FC Lampedusa, composé de réfugié·es, incarne la solidarité vivante entre sport et migration.
Et puis il y a eu le G20 de Hambourg, en juillet 2017. Alors que la ville était quadrillée par des milliers de policiers, que les affrontements faisaient rage dans les rues, le stade du Millerntor a ouvert ses portes aux manifestant·es poursuivi·es, leur offrant un abri, un espace d’organisation, un souffle. Ce geste, à la fois symbolique et concret, a rappelé que le FCSP n’est pas un club comme les autres : c’est un acteur de la ville, un allié des luttes, un refuge face à la répression[1].
Un peu plus tard et pas loin de nous, GoBanyo, une ONG locale met en place devant le stade un bus de douches gratuites pour les sans-abris.
Aujourd’hui encore, malgré les contradictions de la professionnalisation, la scène des fans reste une vigie. Elle débat, elle dérange, elle agit. Le FC St. Pauli n’est pas un produit marketing : c’est un cri collectif, rugueux et solidaire, qui, depuis le cœur de Hambourg, continue de battre pour une autre idée du football — et du monde.
[1] Ouest France