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Histoire de l’antifascisme en Europe occidentale 2 : 1939-1945

S’il y a bien une idée, un concept politique qui rassemble tous les supporters du Sankt Pauli c’est celui de l’antifascisme. Les dessins, les tags les fresques, les stickers antifas sont omniprésents partout dans Sankt Pauli : pas un bar, pas un poteau, sans le célèbre « Antifaschistiche Aktion » et son drapeau rouge et noir décliné dans toutes les langues. L’antifascisme c’est l’ADN du club de Sankt Pauli et plus largement du quartier ! Cependant si on demande à chaque supporter du Sankt Pauli « qu’est-ce que l’antifascisme ?», il est évident que nous aurons des réponses assez diverses. Ce que nous proposons très modestement à travers cette série de 3 ou 4 articles c’est une petite histoire rapide de l’antifascisme principalement en Allemagne et en France. Evidemment ces modestes articles ne prétendent pas être la Bible de l’histoire de l’antifascisme : nous n’avons en effet ni dieu ni maître ! Ils sont écrits par un supporter francophone du Sankt Pauli par ailleurs militant politique et syndical qui a donc sa propre analyse de l’antifascisme et de son histoire. Ces contributions peuvent être critiquées, commentées, amendées et surtout complétées… Ce deuxième volet concerne les années 1939/1945.

Hitler et les nazis n’ont jamais caché leurs buts de guerre. Dans son libre « Mein Kampf » paru en 1925, Hitler expose clairement ses objectifs : instaurer un régime nazi qui combatte à la fois les démocraties libérales et le communisme, agrandir l’Allemagne pour conquérir ce qu’il appelle « l’espace vital », territoires débarrassés des Juifs. Si dans ce livre il ne dit pas clairement ce qu’il veut faire des Juifs d’Europe (les exterminer ? les déporter dans un territoire lointain ?) il paraît clairement que la possibilité d’extermination et une des possibilités envisageables. Dès 1925, personne ne peut donc dire et se tromper sur les volontés politiques d’Hitler et des nazis, surtout les grands capitalistes qui vont abondamment financer le parti nazi dans sa marche vers le pouvoir… Pour arriver à ses buts Hitler va s’allier avec les fascistes de Mussolini et avec le Japon impérial de Hirohito empereur à la solde d’une caste de militaires ultranationalistes, militaires qui ont des visées impérialistes pour conquérir l’Océanie et l’Asie, obtenir les matières premières manquantes au Japon tout en asservissant et en rendant esclave les peuples jugés inférieurs comme les Coréens ou les Chinois.

Dès 1938 Hitler se lance à la conquête tout d’abord de l’Autriche puis de la Tchécoslovaquie. Le gouvernement français de Daladier et le gouvernement anglais de Churchill vous acceptez ces annexions lors des honteux accords de Munich le 29 septembre 1938. Les démocraties libérales pensent pouvoir contrôler Hitler, trop aveuglées par la peur des luttes du mouvement ouvrier et notamment de ce qui se passe en Espagne ou le prolétariat espagnol lie en même la lutte antifasciste et une tentative de révolution sociale et libertaire.

Depuis 1935 la France et l’Angleterre discutent avec l’URSS stalinienne pour des accords communs dans une alliance antifasciste, mais ces discussions s’enlisent… Les accords de Munich marquent la fin de l’espoir d’une telle alliance au niveau international. A partir de 1938 il paraît clair que l’Europe s’en va vers une nouvelle guerre. Le mouvement ouvrier et antifasciste semble anesthésié après de multiples défaites : la prise du pouvoir de Franco qui est autant une défaite de la lutte antifasciste que de la lutte révolutionnaire, la révélation des crimes staliniens et des grandes purges en URSS à partir de 1936 qui liquident une grande partie de la génération de révolutionnaires de 1917, le fait qu’en Italie ou en Allemagne les pouvoirs fascistes et nazis semblent inébranlables et que le mouvement ouvrier y a été presque complètement anéanti, l’échec du Front populaire malgré toutes les conquêtes obtenues grâce aux grèves de 1936…

Staline sait bien qu’une que la guerre est inévitable il connaît aussi l’extrême faiblesse de l’Armée rouge qui a connu une purge sans précédent entre 1936 et 1939 avec l’assassinat de dizaines de milliers de ses cadres souvent accusés de trotskisme. Devant l’impossibilité de former une alliance antifasciste avec la France et l’Angleterre, Staline va se tourner vers Hitler, un pacte de non-agression germano-soviétique signé le 23 août 1939 ! On peut imaginer le choc extrême pour les centaines de milliers de militants communistes à travers l’Europe donc beaucoup étaient venus aux Partis communistes par la lutte antifasciste : apprendre que le pays du « socialisme réellement existant » passe un accord avec l’Allemagne nazie !! Qu’ont dû penser les militants communistes allemands enfermé dans le camp de Mauthausen de ce pacte ? Quel choc cela a-t-il été pour l’italien communiste en exode depuis 5, 10 ou 15 ans ou pour les Espagnols antifascistes qui ont combattu les armes à la main les soldats nazis envoyé en Espagne au côté de Franco ? Qu’a pensé le syndicaliste et antifasciste français qui quelques jours auparavant se battaient peut-être contre les Croix-de-Feu dans la rue ? Un tel pacte est une immense onde de choc pour tous les antifascistes…. Il est alors bien « Minuit dans le siècle » comme l’écrit formidablement le révolutionnaire anti-stalinien Victor serge dans son livre.

L’antifascisme a été porte principalement par les militants communistes, les autres antifascistes qu’ils soient libertaires ou communistes anti-staliniens, même s’ils existent, ne sont qu’une toute petite minorité…. Des milliers de militants communistes déchirent leur carte, certains quittent leur organisation sur la pointe des pieds, beaucoup taisent leurs désaccords. La question de savoir pourquoi Staline a passé ce terrible pacte est encore débattue par les historiens aujourd’hui. Volonté de se donner du temps pour réorganiser l’Armée Rouge à la suite des purges ? Volonté de faire payer les atermoiements des démocraties sur leur non-accord avec l’URSS ? Volonté de se partager l’Europe (notamment la Pologne) de manière plus pérenne avec l’Allemagne nazie ? Sûrement un peu des trois…

Ce pacte germano-soviétique laisse-les mains libres à Hitler pour conquérir l’ouest de l’Europe notamment la France puis écraser l’Angleterre sous les bombes. En1940 les militants communistes doivent tout à la fois s’opposer à la mainmise nazie sur l’Europe tout en restant fidèle à Moscou et à son pacte : difficile équilibre….

Il faut attendre l’agression par l’Allemagne nazie de l’URSS le 22 juin 1941 pour que le thème de l’antifascisme soit clairement remis au-devant de l’actualité : partout les communistes vont être à l’avant-garde des résistances en Europe. Très rapidement (malgré quelques réticences au départ) ils passent à l’action directe, ils multiplient les attentats, les sabotages, les exécutions de collaborateurs ou d’officiers nazi en France. Le 21 août 1941 le Colonel Fabien abat un officier nazi dans le métro dans la station qui porte aujourd’hui le nom de ce héros de la Résistance. Dans toute l’Europe des armées de l’ombre se mettent en place. Avec le développement du travail obligatoire et les déportations pour cause de travail dans les usines allemandes, les résistances vont se développer. Des dizaines de milliers puis des centaines de milliers de réfractaires rejoignent les résistants faisant flotter haut le drapeau de l’antifascisme. Malgré des répressions terribles, les arrestations, la torture, les déportations, les résistants avec un courage hors normes lutte au nom de leurs idéaux.

S’il est clair que les communistes sont les fers de lance dans la Résistance ils ne sont pas les seuls. Certains milieux chrétiens catholiques ou protestants vous rejoindre la lutte. Au sein même de l’Allemagne nazie, la Gestapo ne cessera de démanteler des groupes de résistance pendant toute la guerre. C’est le cas du groupe chrétien de « la Rose Blanche » qui, à Munich, est constituée d’étudiant.e.s en 1942 avant d’être démantelé et ses membres exécutés. Souvenons-nous ici du nom de ces résistant.e.s : Hans Scholl, Alexander Schmorell, Kurt Huber,Willi Graf, Sophie Scholl, Christoph Probst, Jürgen Wittenstein, Traute Lafrenz, Lilo Ramdohr. A Hambourg Le groupe communiste de Bernhard Bästlein, Oskar Reincke et Franz Jacob est fondé en 1941-1942 au sein des chantiers navals. Les membres de ce groupe diffusent des tracts, envoient des lettres aux soldats stationnés au front de l’Est pour les inciter à refuser de combattre. Ils sont en contact avec d’autres mouvements de résistance, notamment l’organisation Harnack/Schulze-Boysen. Arrêtés par la Gestapo en 1943 puis 1944, une soixantaine d’entre eux sont exécutés en 1944-1945. En 1942 deux groupes communistes séparés se créent, connus sous le nom commun de Rote Kapelle (Orchestre rouge) qui reste le nom le plus connu de la résistance communiste contre le nazisme : il faut lire l’extraordinaire livre de Gilles Perrault « L’orchestre Rouge » qui relate les actions de renseignements et de Résistance de ce groupe.

Des éléments bourgeois participent aussi à la résistance notamment en France avec la résistance gaulliste. Si ceux qui s’engagent dans ces réseaux méritent évidemment tout autant de respect et d’admiration que les militants antifascistes, ces éléments bourgeois luttent pour le rétablissement d’une démocratie bourgeoise dans leur pays et ne mêlent pas les thématiques de lutte contre l’extrême-droite et de révolution sociale…. Il n’en reste pas moins que cette résistance bourgeoise a permis la défaite de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste.

Citer ici tous les militants antifascistes tombés dans la lutte antifasciste en Europe est évidemment impossible. Il n’y a qu’à voir l’épaisseur de ce livre appelé « le Maitron des fusillés » qui regroupe les notices biographiques de tous les militants français fusillé par les nazis dont 80 % sont communistes.

Il faut noter que des communistes anti-staliniens et trotskystes ont participé aussi à la lutte antifasciste en essayant de le faire vivre l’internationalisme, en tendant la main aux travailleurs allemands qui portaient l’uniforme de la Wehrmacht. Un travail de constitution de groupes internationalistes de résistance à l’intérieur même de l’armée allemande a été effectuée notamment à Brest en 1942. Ces militant.e.s français.e .s publiaient un journal « Arbeiter und Soldat » qui permis la constitution d’un groupe de soldats allemands antifascistes. Tout ce groupe de résistance fut démantelé par la Gestapo, outre les militants brestois, Robert Cruau, Yves Bodénez, Georges Berthomé, André Floc’h et Albert Goavec, plusieurs militants parisiens, dont Marcel Hic, responsable du parti et organisateur du Travail allemand, sont tués ou meurent déportation. Plusieurs dizaines de soldats allemands sont exécutés notamment, semble-t-il, à Hambourg.

L’internationalisme est au cœur de l’antifascisme, et malgré un mot d’ordre nationaliste lancé en France par le parti communiste français (le fameux « A chacun son Boche » comme s’il n’y avait pas eu de militants antifascistes allemands …) il a vécu dans la Résistance notamment parmi les FTP-MOI (franc-tireur partisan – main d’œuvre immigrée) dont il faut parler ici. Les FTP-MOI sont mis en place en avril – mai 1942 par Boris Holban et les cadres de la Main-d’œuvre immigrée. Ceux-ci recrutent des étrangers ou apatrides communistes vivant en France, des immigrés ashkénazes jetés dans la clandestinité par le régime de Vichy, des sympathisants ne faisant pas toujours partie du Parti communiste français, des réfugiés ayant fui avant-guerre le régime fasciste de Mussolini, des rescapés du génocide arménien, d’anciens brigadistes, ou bien leurs fils et filles, proches des Jeunesses communistes.

De fait, les FTP-MOI agissent dans le cadre d’une très large autonomie, liée à la clandestinité mais aussi aux difficultés d’organisation. Les FTP-MOI compteront parmi les groupes de résistance les plus actifs et les plus déterminés, notamment parce qu’ils sont en tant qu’étrangers, et juifs pour beaucoup, directement visés par les lois sur le statut des Juifs du régime de Vichy, qui ne leur laisse le choix que de la clandestinité ou de l’internement, suivi de la déportation. À partir de fin 1942, les FTP-MOI mènent en moyenne un fait d’armes tous les deux jours. 92 hôtels allemands sont attaqués à la bombe, 33 hôtels attaqués à la grenade, 15 bureaux de recrutement incendiés, 11 collaborateurs abattus, 125 camions militaires détruits, 31 formations militaires attaquées, 10 trains militaires attaqués ou déraillés. Les soldats reçoivent un peu d’argent, toujours insuffisamment, pour se cacher et survivre entre deux opérations. La logistique nécessaire n’aurait jamais pu être fournie sans le soutien d’un milieu sympathisant.

Les FTP-MOI sont particulièrement connus à travers les épisodes du procès de 23 membres du groupe de Missak Manouchian. Ce dernier, versé aux FTP-MOI parisiens en février 1943, en avait été promu commissaire technique en juillet 1943, et le mois suivant, commissaire militaire, Après leur arrestation, leur procès se déroule devant le tribunal militaire allemand du Grand-Paris, réuni à l’hôtel Continental à partir du 15 février 1944, dure entre deux et quatre jours, 23 accusés sont condamnés à mort, L’affiche rouge qui annonce leur exécution, bien qu’imprimé par les nazis, devient un symbole de l’antifascisme. Le poète Aragon écrira ces mots magnifiques en leur souvenir dans le poème « L’affiche rouge » : Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent/Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps/Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant/Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir/ Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

Les antifascistes réussirent même à libérer eux-mêmes en 1944-45 des régions de l’emprise nazie, c’est le cas dans le sud-ouest de la France, de régions en Italie mais surtout en Yougoslavie où le mouvement des partisans, avec à sa direction Tito, fut un exemple pour tous les antifascistes européens.

Les 8 et 9 mai 1945 l’Allemagne nazie capitula sans condition, contrairement à 1917 cette guerre mondiale ne déboucha pas sur des tentatives de révolution, les pays libérés par l’URSS se voyant imposer des régimes totalement fidèles à Staline et sa politique, les partis communistes de l’ouest de l’Europe obéissant au mot d’ordre d’Union Nationale.

Nous devons notre liberté entre autres à ces centaines de milliers d’antifascistes connus ou anonymes qui souvent jeunes ou très jeunes (Henri Krasucki, futur dirigeant de la CGT entra en résistance dans les FTP-MOI à 15 ans) sauvèrent l’honneur du genre humain quand d’autres se vautraient dans les crimes de masse ou dans un silence complice.

Si le fascisme et le nazisme semblait être anéanti les antifascistes ayant combattu pendant la deuxième guerre mondiale garder dans un coin de leur tête ces mots d’ordre prophétiques de Bertolt Brecht « le ventre est encore fécond d’où tu as surgi la bête immonde » … (A suivre)

Ce texte est dédié à Celestino Alfonso, Missak Manouchian, Marcel Rajman, Rino della Negra, Louis Coquillet, Herbert Baum, Liane Berkowitz, Jules Lesven, Pierre Guegin, Marc Bourhis, Guy Mocquet, Marcel Beaufrère, Cato Bontjes van Beek, Anatole Levitzky, Vicky-Véra Obolensky, Tamara Volkonskaïa, Igor Krivochéine, Cyrille Krivochéine, Ariadna Skriabine, Zinaïde Chakhovskaïa, D. Amilakhvari, C. Radichtchev, G. Rabinovitch, A. Ougrimov …. et les milliers de combattant.e.s antifascistes tombé.e.s.